Article « Prévenir le psychotraumatisme chronique et le Burn out par la décontamination affectivo-emotionnelle de groupe »

Rédigé par le Dr Bardot Eric – 11 avril 2020

eric bardot
Dr Éric BARDOT

Au cours de ces quarante années de pratique psychothérapique, mon intérêt s’est porté plus particulièrement sur le traitement des psychotraumatismes complexes et de leurs symptomatologies associées. Mon histoire a influencé ma pratique clinique fondée sur l’observation des symptômes, comme des processus relationnels. Cette sensibilité à prendre en compte le contexte relationnel, les interactions entre les acteurs, et les effets de ces interactions chez chacun, m’a amené naturellement vers l’hypnose ericksonienne, la thérapie existentielle, les approches systémiques et interactionnelles.

Sur ces bases, j’ai développé une pratique thérapeutique : l’HTSMA (Hypnose, Thérapie Stratégique, Mouvements alternatifs) (1), en y intégrant mon expérience de pédopsychiatre étayée par les apports de la recherche sur le développement de l’enfant : les neurones miroirs et l’effet mimétique, les liens entre intersubjectivité, attachement, autonomie et théorie de l’esprit (2). Cette pratique a inspiré la procédure que nous allons vous présenter.

Aujourd’hui cette situation particulière liée à l’épidémie de Covid-19 prend une allure comparable à celle de la médecine de catastrophe. En effet, la médecine de catastrophe (3) se caractérise par le fait que la situation à laquelle il s’agit de faire face prend en compte le débordement des moyens sanitaires tant en personnel qu’en moyens matériels. Elle nécessite la mise en place d’une organisation particulière : le triage suivant la gravité et la priorité des soins vitaux à mettre en œuvre, dans l’objectif de permettre de sauver un maximum de personnes. Cette organisation confronte les soignants à une réponse collective par rapport à la mort. Cette présence massive de la mort et les représentations qu’elle met en oeuvre au niveau sociétal, groupal, individuel impacte tant par son immédiateté que par son intensité et sa dimension quantitative. Alors qu’en même temps chaque situation individuelle est un drame en lui-même, ce d’autant que le (la) patient(e) est éloigné(e) de ses proches.

Les soignants sont confrontés à deux impératifs. La répétition des actes de soin indispensables pour sauver les vies risquent de mener à des comportements automatiques et déshumanisés, ainsi qu’à l’épuisement. De l’autre, ils ont à s’ajuster à la singularité de chaque patient(e), aux choix draconiens conditionnés par l’insuffisance de moyens et de personnels. Cette confrontation engage de manière intense le vécu affectif des soignants comme êtres humains et pas seulement comme techniciens. Il peut amener à des états d’épuisement professionnel aigu et à des états de stress aigus (4).

L’état de stress aigu ou Stress dépassé : (en lien avec la situation vécu)

L’état de de stress aigu ou stress dépassé est pour nous déjà un vécu psychotraumatique. Aussi, Il s’agit de repérer l’apparition d’une souffrance physique et/ou psychique qui va se traduire par :

  • une rumination mentale focalisée sur la situation anxiogène,
  • des troubles de l’endormissement, des réveils nocturnes, des cauchemars en lien avec la situation,
  • un envahissement diurne par des scènes de stress sous forme de flashbacks,
  • un émoussement affectif avec perte de plaisir qui peut amener dans des modes de réponse addicts (café, tabac, alcool, amphétamines, etc…),
  • un sens altéré de la réalité avec distorsion du temps,
  • des troubles de la mémoire,
  • de l’irritabilité, de l’hypervigilance, des troubles de la concentration,
  • des réactions d’angoisse incontrôlées, de somatisation (douleurs abdominales, troubles du transit intestinal, tachycardie, hypertension).

Le syndrome d’épuisement professionnel (Burn out) aigu (en lien avec le sens de l’action comme professionnel).

Le Syndrome d’épuisement professionnel (Burn out) aigu est en lien avec un conflit entre les valeurs de la personne (le sens de son action) et ce qu’elle doit exécuter. Les symptômes d’alerte vont être les suivants :

  • une fatigue chronique qui peut être intense,
  • un cynisme et un détachement vis-à-vis du travail avec émoussement affectif et rationalisation,
  • une rumination mentale qui porte sur la question du sens,
  • un sentiment de perte de compétence professionnelle, la dévalorisation.
  • Il peut s’accompagner de comportements addicts.

Les peurs anticipatoires (scénario de menace d’effondrement)

Une autre symptomatologie que nous n’avions pas anticipée est présente chez les soignants : la peur anticipatoire d’être débordé par ce qui pourrait advenir au sortir de la pandémie.

Elle touche les soignants et les thérapeutes qui sont actuellement dans un vide de consultations alors que les médias diffusent des messages quantitatifs en termes de malades atteints du covid 19, de patients en réanimation et de nombre de mort. Ces thérapeutes ont le sentiment de vivre une situation « de calme avant la tempête » sans pouvoir déterminer la forme que va prendre cette tempête.

La symptomatologie peut être composée :

  • d’un vécu insécure avec sentiment d’étrangeté,
  • de crises d’angoisse, de somatisations,
  • de ruminations qui portent sur ce qui pourrait advenir : une catastrophe encore pire (sanitaire, psychique, sociale), l’effondrement, le vide, le néant,
  • de focalisations excessives sur les messages des médias,
  • de troubles du sommeil,
  • d’un sentiment d’incompétence face à ce qui pourrait arriver.


    Notre expérience montre qu’à partir du moment où une personne ou un groupe est impacté professionnellement par une situation, on observe l’émergence des effets suivants :
  • L’Impuissance
  • L’Envahissement
  • L’Insécurité
  • L’Imprévisibilité

    Ces effets vont amener une perte de sens et faire le lit soit de l’état de stress traumatique aigu soit du Burn out. Ils viennent remettre en cause cette expérience fondamentale sur laquelle repose notre assise : la confiance.


    Cliniquement, nous avons observé plusieurs facteurs de protection :
  • la dynamique et la cohésion d’équipe,
  • la définition d’un sens commun en termes de mission, portée par des objectifs clairs où chaque professionnel peut se sentir acteur,
  • le soutien par une autorité compétente et engagée.


    Pour nous, une autorité engagée est une autorité que l’on peut repérer et nommer. Ses décisions et ses actes sont en lien avec une ligne directrice et des objectifs clairs, repérables, congruents avec le contexte professionnel, portées par des valeurs partagées.
  • la philosophie de soin du soignant, du thérapeute : au service de la vie en sachant que la vie implique la mort, que la guérison participe à la fois de l’acte de soin et des potentialités d’auto-guérison du patient, ce qui s’avère plus protecteur que la lutte contre la mort dans une vision guerrière.

Notre expérience nous a montré que ces états de stress aigu et d’épuisement professionnel aigu peuvent venir altérer le sentiment d’appartenir à une équipe, de douter de ses capacités de soignant, voire de douter du sens de sa mission. Ces doutes, lorsqu’ils s’installent et se généralisent, sont un facteur de désorganisation de la cohésion d’équipe qui en retour risque d’aggraver les effets émotionnels négatifs chez chaque soignant.

Cette problématique peut faire le lit de psychotraumatismes chroniques (états de stress post-traumatiques) dont les effets négatifs, à moyen et long terme, risquent d’être à la fois individuel et à la fois collectif. Quelles que soient nos compétences professionnelles, nous sommes également des êtres humains avec notre histoire, notre sensibilité. Nous ne pouvons, sans effets toxiques, être réduits à l’état de machines à exécuter les intentions d’un pouvoir extérieur. Les impacts affectifs et émotionnels de ce type de situation sont comparables aux effets de la radioactivité. Ils sont en apparence invisibles et pourtant bien présents avec des effets cumulatifs. C’est la raison pour laquelle j’ai développé une pratique à partir de mon expérience clinique en institution et des études sur le débriefing et le defusing. Cette pratique a été expérimentée lors des formations et en situation concrète en milieu hospitalier : dans des services de psychiatrie, dans une unité mère-enfant et en supervision d’équipes de soins palliatifs.

L’observation nous a montré que ce type d’intervention doit répondre à des critères précis. Tout d’abord, il est nécessaire de centrer l’intervention sur le contexte professionnel et les impacts négatifs affectifs et émotionnels en lien avec ce contexte. Il s’agit de respecter le soignant dans son intimité et son histoire privée. Aussi, l’intervention doit avoir lieu dans l’ici et maintenant, avec un groupe de professionnels, que ce soit une équipe ou un ensemble de professionnels.

Nous partons de l’idée que l’état de stress aigu et son impact affectif et émotionnel est avant tout corporel (5). Même s’il prend des formes différentes, c’est l’expression d’un impact corporel qui est présent à des intensités variables chez chaque soignant, en tant qu’être-humain. Les réponses à cet impact sont d’abord perceptives, sensorimotrices. Ces traces perceptives, qui peuvent perdurer dans le temps et/ou se généraliser, vont comme contaminer la vie de la personne, du groupe… et altérer ses capacités d’adaptation. Ce sont ces traces perceptives qui vont être externalisées et partagées. Aussi, notre procédure d’intervention va mobiliser les capacités d’observation et le témoignage des participants et non les commentaires, les interprétations et/ou les jugements sur la situation.

Cette procédure va avoir comme objectif de :
➢ Reconnecter chaque soignant à la communauté des soins, dans l’acceptation de notre vulnérabilité face aux aléas de la vie. Nous insistons sur le fait que cette intervention doit être pluridisciplinaire : découvrir et se connecter à la relation humaine au-delà des rôles et des compétences professionnelles, par activation de l’effet mimétique groupal, est la base de l’activation du processus de résilience tant individuelle que collective.

➢ Retrouver une base de sécurité interne : comme ancrage dans son assise corporelle, dans l’instant présent. Elle permet à la fois la centration et le calme intérieur et à la fois la capacité à ajuster ses perceptions et ses actions à la situation.
➢ Retrouvez et/ou remettre du sens à la mission en tant que soignant. Ceci questionne les valeurs en lien avec le sens de la mission. Être réduit au statut d’exécutant, soumis à une autorité, dont les ordres sont en contradiction avec les principes humains les plus fondamentaux, favorisent l’émergence de psychotraumatismes chroniques.

Pour répondre à ces trois objectifs, j’ai développé une procédure qui va se dérouler en trois étapes dans le présent, c’est-à-dire dans l’ici et maintenant.

Elle demande à l’animateur-thérapeute de savoir manier les phénomènes hypnotiques. En effet, la décontamination va utiliser des processus de déshypnotisation par l’utilisation de techniques particulières :
➢ L’externalisation des effets émotionnels négatifs avec mise en commun de ces effets.
➢ L’activation de la communication circulaire par laquelle, par effet mimétique, les ressources du groupe vont faciliter chez chacun une mise à distance des évènements négatifs.
➢ Une transformation des représentations en lien avec ces événements.
➢ Un accordage sous forme d’activation symbolique porteuse de sens, qui va pouvoir être internalisé comme ressource commune et partagée, par chaque membre du groupe et par le groupe comme unité.

Elle va permettre que chaque soignant trouve ou retrouve sa juste place dans l’unité du groupe. Ce nouvel équilibre s’enrichit d’une nouvelle homéostasie relationnelle de chacun dans sa capacité à s’écouter, s’ajuster, à se décontaminer, dans l’homéostasie du groupe comme sécure.


Déroulé du travail de décontamination affectivo-émotionnelle de groupe :

Singularité de l’utilisation de la visioconférence :
Cette procédure peut être appliquée en présentiel comme en visioconférence. Dans ce cas, nous recommandons d’utiliser une plateforme où il est facile de se connecter. Une salle d’attente virtuelle qui permette de faire rentrer ensemble les participants est un plus. Une fois entré, le groupe devient un groupe fermé. Nous recommandons que chaque participant se positionne devant sa caméra de telle sorte que le visage et le haut du corps soient visibles.

Le temps 1 de présentation : construire le cadre et permettre l’installation de la confiance

Nous demandons à chaque participant(e) de se présenter : prénom, profession, contexte professionnel, lieu d’exercice. Nous allons faire décrire le contexte professionnel qui justifie l’intervention. Nous allons énoncer que l’intervention s’occupe des effets d’impact dans l’ici et maintenant tant au niveau du groupe qu’au niveau de chaque soignant dans le contexte actuel. Nous allons dépathologiser la situation : dans une situation de catastrophe où les paramètres sont complexes, où les soignants sont confrontés à une situation hors normes, impacter est humainement inévitable, collectivement et individuellement. Nous allons rappeler le respect de l’intimité de chaque participant dans ce travail.

Puis, nous allons énoncer clairement l’objectif de l’intervention sous son double aspect : au niveau groupal en lien avec la mission dans le contexte d’intervention professionnel et au niveau individuel dans l’objectif de retrouver une base sécure. Le déroulement de l’intervention va amener le groupe vers l’expression d’une forme symbolique commune. Celle-ci va permettre d’internaliser l’expérience commune pour se séparer en lien.

Le temps 2 de la procédure : mise en place de l’espace central
Dans les circonstances actuelles, nous avons transformé la procédure de telle sorte qu’elle soit utilisable en visioconférence. Pour cela, il s’agit d’avoir, sur l’écran, le groupe à traiter en mosaïque avec le ou les animateurs. Si en présentiel, un animateur peut être suffisant, deux animateurs en visioconférence sont recommandés : l’un s’occupera plus particulièrement de l’organisation technique et l’autre effectuera le même type de travail qu’en présentiel.

Il est important de mettre en place un ordre de passage qui sera respecté jusqu’à la fin de l’intervention comme si tous les participants, animateurs compris, étaient disposés en cercle.
Nous allons demander à chaque participant ce qui l’a motivé à s’inscrire à ce groupe, puis ce qu’il attend de cette intervention.

A ce stade deux grandes demandes vont émerger :
➢ l’une sur l’expression du stress aigu, de l’épuisement, de la perte de sens.
➢ l’autre sur la peur de ce qui va advenir, de ce à quoi le thérapeute/soignant va avoir à faire face.

A l’agir des soignants en situation, répond l’apparence de calme et d’irréalité du contexte Covid-19 auquel sont confrontés les autres soignants et les psy… Cette peur de ce qui va advenir peut amener à des conduites de réassurances et à des tentatives de solution en termes de recherche de maîtrise. (« Il faut que je trouve des outils thérapeutiques pour pouvoir faire face »).

En présence d’un stress aigu et /ou d’épuisement professionnel, nous allons poser la question suivante :
« Dans la situation, telle que vous la vivez actuellement, dans votre contexte professionnel, nous allons vous demander de focaliser votre attention sur un moment significatif pour vous, sans avoir à le raconter ».
Sur les peurs anticipatoires, la question va se construire ainsi :
« Dans la situation, telle que vous la vivez actuellement, nous allons vous demander de vous imaginer dans la pire situation à laquelle vous auriez à faire face ». Nous allons demander au soignant de décrire cette situation …. Et : « observez là, maintenant comment ça réagit dans votre corps ». Pour que l’intervention puisse être utile, cela nécessite la présence d’un effet corporel en lien avec le scénario de peur anticipatoire.

Si rien ne se passe, nous allons requestionner le/la participant(e) sur sa motivation à s’être inscrit(e) à ce groupe, l’adéquation entre sa présence et l’objectif de l’intervention. S’il s’agit d’une recherche de nouveaux outils thérapeutiques, nous réorienterons la personne vers la formation.

Le point commun entre les deux types de demande tourne autour de l’insécurité, de l’envahissement, de l’impuissance qui submergent le soignant, le thérapeute et le mettent dans l’incapacité de pouvoir retrouver une base sécure. C’est l’effet premier de la contamination.

Lorsque l’attention de chaque participant(e) est focalisée sur cet événement significatif, nous allons demander à chacun d’imaginer un espace central et commun au milieu du groupe. Cet espace contient chaque écran (ordinateur, tablette, téléphone…). Nous allons demander à chaque participant(e) de l’énoncer et nous allons faire circuler les représentations jusqu’à ce qu’une image commune se dégage pour au moins 80 % du groupe.

Le temps 3 : La mise en place du processus d’externalisation
L’animateur propose à chaque participant(e) en suivant l’ordre de passage déjà établi : « Je vais vous demander de focaliser votre attention là, maintenant, sur ce moment significatif pour vous, en situation professionnelle ou que vous anticipez ». (L’animateur peut demander un signe de la tête pour valider que ce moment significatif est présent à l’esprit du participant).

« Je vais vous demander lorsque ce moment significatif est présent à votre esprit d’observer quels effets apparaissent là, maintenant, dans votre corps (sensation, émotions, tensions corporelles, images, pensées) ».

« Je vais tendre ma main vers l’écran et je vais demander à la vôtre de prendre l’effet le plus présent dans votre corps, de le nommer comme une chose, de le prendre avec votre main et de diriger votre main vers la mienne comme si vous alliez mettre cette chose dans ma main. »

Puis l’animateur ajoute : « Je mets cette forme externalisée, en la nommant, au milieu du groupe » en joignant le geste à la parole.

Cette première partie a comme fonction d’engager chaque participant(e) dans la mise en place du travail ensemble. La projection à l’extérieur de soi des effets négatifs liés à la situation de catastrophe actuelle permet une prise de distance de chacun quant à son rôle professionnel et social pour reconnecter l’humain impacté. Elle permet également à chacun de découvrir que l’impact de l’humain déborde le rôle professionnel et vient altérer les capacités et les compétences à la fois relationnelles et techniques de chacun.

Lorsque tou(te)s les participant(e)s, y compris les animateurs, ont externalisé un effet, nous allons passer à l’étape suivante.

Le temps 4 : Le processus d’externalisation, internalisation et activation des ressources
En repartant du premier participant, l’animateur va lui poser la question suivante : « Lorsque vous observez tout ce qui est au milieu là maintenant, qu’est-ce qui vient en vous ? »

S’il s’agit d’un commentaire, l’animateur va poser la question suivante en reprenant le commentaire : « Lorsque vous me dites [ …], comment ça réagit dans votre corps là maintenant ? ».

L’animateur va faire circuler le questionnement jusqu’à ce que les formes projetées au milieu se transforment en scène, images, symboles, ressources. Les deux animateurs participent à l’expérience commune.

Ces scènes, en triangulant, vont permettre de mettre en place l’effet mimétique et la communication circulaire : participant(e), formes externalisées dans l’espace commun et intervenant.
Cette partie du travail a comme objectif d’installer à nouveau une relation de confiance en soi et dans le groupe avec le soutien des animateurs.

Si à la fin du troisième tour, un participant reste figé dans les mêmes représentations, l’animateur va le sortir du groupe et lui proposer de se mettre en position d’observateur de ce qui est en train de se dérouler. L’animateur réintroduira le participant à la fin de l’intervention. Il lui demandera : « A partir de ce qui s’est déroulé dans le groupe devant vous, là, maintenant, comment ça réagit chez vous ? ». Ou la situation aura évolué et le participant pourra réintroduire le groupe, ou la situation restera bloquée pour lui et il lui sera proposé à la fin de l’intervention un entretien dans lequel l’animateur lui conseillera de consulter.

L’expérience montre que les personnes en situation de blocage sont ceux et celles chez qui leur histoire de vie vient interférer. Il s’agit la plupart du temps de troubles de l’attachement et/ou de psychotraumatisme complexe où se jouent la thématique du triangle de Karpman (6) : sauveur, victime, bourreau. Les blocages vont s’exprimer par des réponses :

  • de protestations qui prennent la forme de l’hostilité, de la rumination mentale et de la culpabilité,
  • de désespoir qui prennent la forme de l’abattement, de l’épuisement, de la dépression, de l’effondrement,
  • du détachement qui peut mener à la compulsion, à l’agir, à l’indifférence affective et émotionnelle, à la rationalisation à l’excès.

    Les comportements addicts peuvent être associés, avec comme fonction l’anxiolyse, le dopage ou l’effet hallucinatoire dans l’intention de fuir ou de contrôler la réalité de la situation.

Le temps 5 : la procédure d’attachement et de séparation
À chaque fois que la situation se stabilise pour un participant, par exemple en s’exprimant ainsi : « Ok pour moi, plus rien ne vient », l’animateur va lui proposer de sortir du groupe et de passer en observateur jusqu’à ce qu’il reste au centre une image ou une scène symbolique partagée par l’ensemble du groupe.


Le temps 6 : la procédure d’appartenance, d’internalisation des ressources collectives et d’anticipation ayant pour effet d’activer le processus de résilience
Lorsque tous les participants sont sortis du cercle, l’animateur réunit à nouveau le groupe. Avec le symbole commun, il fait revenir chez chacun la situation de départ ou une situation nouvelle qui s’impose.

Il va alors demander à chacun : « Qu’est-ce que vous vous voyez faire de différent à présent, en situation, dans votre contexte professionnel (tant au niveau individuel qu’au niveau du groupe) ? ». À ce stade, c’est une action qui va être dégagée et partagée avec le groupe.

A ce moment, l’animateur peut poser trois questions qui vont permettre aux participants de se reconnecter à leurs compétences et à leur histoire comme soignant et/ou comme thérapeute :
« Nous allons faire venir un patient en situation. Imaginez, il est là devant vous. Qu’est-ce que vous pouvez lui dire de l’expérience que vous venez de faire dans ce groupe… et… qui puisse le mettre en confiance quant à vos capacités à mettre en oeuvre vos compétences professionnelles ? Comme professionnel, qu’est-ce que vous pourriez lui témoigner sur l’expérience que vous venez de vivre ? »
« A quels signes chez lui allez-vous observer qu’il vous sent apte, capable, compétent à l’aider, le soigner dans cette situation ? »
« Et vos collègues, que vont-ils pouvoir observer de différent chez vous, là, maintenant ? »


Le temps 7 : La procédure du témoignage /rituel collectif
Un temps d’échange libre peut être offert en précisant au groupe qu’il s’agit d’un temps de témoignage et de partage d’expériences ressources adressées par chacun des participants et des animateurs à l’ensemble du groupe.
Il est tout à fait possible de terminer sur une expérience d’hypnose, de méditation, de rythme sous forme de mouvements corporels en collectif centrés sur la forme symbolique que l’expérience commune a fait émerger.
L’expérience nous montre que l’objectif de cette intervention est atteint lorsque les participants peuvent retrouver la confiance dans leur aptitude à se remettre en lien avec :

  • leur base sécure,
  • leurs compétences professionnelles,
  • leur capacité à s’ajuster à la situation, à se centrer sur l ‘instant présent, à sortir de la colère, de l’impuissance, du désespoir,
  • leur capacité à se décentrer de la position de sauveur, de toute-puissance en présence de la mort et/ou de la détresse,
  • leur vulnérabilité d’être humain comme ressource.

    Se positionner à nouveau comme acteur, pouvoir le partager et en témoigner dans le groupe et avec ses pairs va amplifier le sentiment de confiance en termes de soutien, de compétences et de sens de l’action.

    Habituellement, la durée de ce type d’intervention est d’environ 2 heures à 2 heures 30. Nous recommandons de proposer à chaque participant(e) de le rappeler dans un délai de 15 jours pour un débriefing orienté sur le changement et la confiance.

    L’intervention peut être renouvelée à trois semaines ou un mois d’intervalle. Si cela n’est pas suffisant, il s’agit d’orienter le participant vers un thérapeute.

    Les points communs et les différences entre décontamination affectivo-émotionnelle et défusing ou débriefing
    Il existe un certain nombre de points communs avec d’autres techniques de prise en charge des personnes en état de stress aigu, comme le defusing ou le debriefing. On peut citer par exemple :
  • l’intervention psychothérapique orientée vers les émotions et les affects,
  • l’accompagnement basé sur la réassurance, la restauration d’un premier soutien, d’un étayage et d’une contenance et sur le fait de dépathologiser la situation traumatogène
  • un objectif de remobiliser les ressources à la fois psychiques et physiques du sujet.
    En revanche, à la différence de ces techniques, la décontamination affectivo-émotionnelle se différencie sur d’autres points :
  • le fait de ne pas demander aux gens de raconter leur histoire,
  • un travail orienté sur les effets corporels sensorimoteurs en lien avec le vécu affectif et émotionnel,
  • une implication des animateurs dans le processus afin de servir de support mimétique,
  • une intervention qui peut se faire de manière précoce, comme différée.

    Il nous semble important d’avoir des soignants de professions et d’horizons différents. Ce travail est un travail de réaccordage (7) entre l’humain et le professionnel. Un groupe composé de niveaux hiérarchiques différents est un plus. En effet, nous privilégions le témoignage sur le partage d’une expérience commune dans l’ici et maintenant de la séance, sur la mobilisation des processus d’anticipation.

L’intervention thérapeutique se focalise sur l’ajustement corporel relationnel et non sur l’interprétation cognitive. Cette intervention s’appuie sur le processus d’externalisation. A la différence de l’extériorisation, celui-ci va permettre de construire des formes communes et faciliter l’apprentissage de la décentration. Il mobilise les effets du travail indirect pendant que la communication circulaire favorise l’effet mimétique. Cette pratique thérapeutique permet d’amener les participants à retrouver leur capacité comme acteur en situation professionnelle.


Les Compétences du thérapeute/animateur :

Afin de permettre un bon déroulement du processus, comme animateur, le thérapeute :
➢ Doit avoir la capacité à être en pleine présence,
➢ Se décentrer de son savoir pour entrer dans une posture de non savoir.

Ce travail est centré sur l’observation de ce qui se passe chez chaque participant(e), tout particulièrement dans le langage non verbal et des effets perçus en retour chez lui. Il doit se mettre au service du déroulement du processus dans ses formes d’expression sans faire de commentaires, d’interprétations ou porter de jugements sur ce qui vient. Un cadre clair et sécurisant améliorera l’efficacité du travail proposé, tant par la clarté du questionnement accompagné de la gestuelle de l’animateur, que par ses capacités de contenance, d’écoute et de soutien. Son intention doit être focalisée sur la remise en lien, dans la bienveillance.

Il est nécessaire de savoir utiliser le langage hypnotique décentré : « pendant qu’une partie de toi observe ce qui est en train de se dérouler, alors l’autre partie de toi agit dans l’espace commun ». Dans les questions, et au fur et à mesure des tours, des variations de rythme vont s’opérer : un rythme lent au départ, puis, plus les formes exprimées sont des formes vivantes, plus celui-ci s’accélère jusqu’à se stabiliser. Le thérapeute doit être en capacité à la fois d’accueillir ce qui vient, tout en maintenant le cadre. Son objectif est d’amener chaque participant à témoigner des effets corporels qui l’impactent et de remettre les corps en relation et en mouvement. Simultanément, l’unité du groupe va se construire de manière progressive pour devenir de plus en plus présente.
Enfin et c’est un élément essentiel à la réussite du processus, le thérapeute doit avoir une confiance inconditionnelle dans le fait que le processus va prendre une forme de plus en plus explicite.

La formation de thérapeute/animateur :
Elle se fait sur candidature à l’institut Mimethys. La candidature doit répondre à un objectif professionnel d’intervention thérapeutique post immédiate, de supervision de groupe et/ ou d’équipes de soins. Une compétence en hypnose et/ou en thérapies systémiques est un plus.

Le modèle de la formation répond à un atelier de 3h30, composé d’une première partie de mise en situation, suivie d’une partie théorico-pratique avec apprentissage de la procédure. La formation se termine par un échange entre participants, une évaluation des acquis. Un accompagnement avec un animateur thérapeute déjà formé et trois séances d’analyse de pratique en groupe sont proposées.

©copyright Dr Bardot Eric – 11 avril 2020

Bibliographie :
1 – Bardot E. « De la place sûre à l’expérience sécure en HTSMA » forum hypnose Strasbourg 2013
2- Attali G. « Attachement et théorie de l’esprit » ; éditions faber,2013
3- Pr Carly P. « Les principes de base de la médecine de catastrophe française».2004
4- LEBIGOT F, PRIETO N. « Importance des interventions psychiatriques précoces pour les victimes ». In : De Clercq M, Lebigot F, Les traumatismes psychiques. Paris : Masson 2001 : 151-159
5- M. Schittecatte. « Apport de la théorie polyvagale des émotions de S. W. Porges à la psychothérapie des états dissociatifs » dans Les fondements des psychothérapies (2014), Dunod pages 299 à 313.
6- Karpman S.B. « le triangle dramatique », interEditions, (2017)
7- Stern D. « Le moment présent en psychothérapie : un monde dans un grain de sable ». Editions Odile jacob 2003